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Critique Les nerfs à vif, Zia Saunders

Crée le 22 mars 2024
LES NERFS A VIF – Quelques mots sur un film perturbant

Cela ne fait que quelques minutes que le film a commencé et Martin Scorsese nous violente déjà. En nous imposant dès les premières minutes un gros plan sur le visage de Robert de Niro alias Max Cady, le réalisateur nous donne la couleur de ce qui s’en suivra, avec un personnage principal qui ira jusqu’à briser le quatrième mur au cours d’une pièce de théâtre endiablée.
Que celui qui regarde ce film se méfie : il ne sera pas simple spectateur, mais sera pris à partie.
A coup de gros plans, de zooms foudroyants et de déchainements de couleurs négatives, Martin Scorsese nous met au défi de juger ce qui relève du désir et de l’abstrait.
Puisque si ce n’est pas de cela dont le film parle, de quoi parle-t-il ?
Ce Matt Cody, pendu tel une chauve-souris, au téléphone, faisant des avances sexuelles à une jeune fille de 15 ans, nous fait froid dans le dos autant qu’il nous intrigue : comme le vampire du rêve américain, il s’immisce dans cette famille au premier abord puritaine et en en révélant les vices et travers nous questionne, en nous plaçant dans une position de juge, sur notre vision de la justice.
S’il semble bien clair que le monstre est celui qui sort de prison, d’autres monstres apparaissent au fil du film, et la question finale qui nous ait posé est la suivante : qui est assez pur pour juger ? Qui sommes-nous, spectateurs bien assis au fond de nos sièges, pour juger ce qui se déroule sous nos yeux ?
Comme s’il prenait le parti du diable qu’il dessine, le réalisateur semble prendre un malin plaisir à déconstruire, en une heure et demie de plus en plus difficilement endurable, une famille incarnant à la perfection le fruit d’une société occidentale se pensant la plus juste et la plus belle.

L’ouverture du film sur les quelques mots de l’adolescente « il n’y a rien à craindre dans l’enchantement du soir » est quelque peu amusante une fois le générique éteint. Effectivement, il n’y a rien à craindre dans le paradis de rêve que les familles occidentales se construisent, si ce n’est peut-être les vices de chacun d’entre nous devenus plus fort par le fait qu’ils sont sans cesse refoulés.

Le terrible de Matt Cordy est que ce que l’on voit de son immoralité n’est dévoilé que grâce aux vices des uns et des autres : de la jeune fille prude qui découvre sa sexualité et se jette presque consciemment dans la gueule du « grand méchant loup », à la femme qui cherche à raviver la sienne, à la maitresse délaissée provocante jusqu’au mari honteux d’une sexualité adultère, c’est la culpabilité de chacun des membres de la famille et même de chacun des personnages du film qui retrouve en Max Cody comme un miroir de leurs péchés.
Celui-ci, plantant ses yeux dans les nôtres face caméra, finit par nous remettre nous aussi en question : en bref, Scorsese, en 1H30 de déconstruction d’une Amérique pleine de vices, nous met bel et bien « les nerfs à vif » …

Zia Saunders