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"Explorer la gestion des carrières dans la justice" : paroles de Nawel Sidi Ali Cherif, maître de conférences à TSM

Maître de conférences à TSM et spécialiste en gestion des ressources humaines, Nawel SIDI ALI CHERIF consacre ses recherches à la carrière et la gestion des carrières comme enjeu stratégique pour les organisations, telles que la Justice.

• Pouvez-vous retracer en quelques mots votre parcours et ce qui vous a amené à TSM / UT Capitole ?

 
Je me suis engagée dans l’enseignement supérieur et la recherche après dix-huit années dans le Conseil : treize ans en Communication au sein d’agences parisiennes à taille humaine, puis cinq ans en RH, plus particulièrement en Recrutement dans un grand groupe en Lorraine.

Ma formation académique en Gestion s’est construite en plusieurs étapes : Maîtrise à Paris-Dauphine (2001), Master 2 GRH (2014) et Master 2 Recherche (2020) à l’IAE Nancy. Après un Doctorat en sciences de gestion à l’Université de Lorraine, au sein du laboratoire CEREFIGE, au cours duquel j’ai intégré le programme doctoral CEFAG de la FNEGE (2022), j’ai été ATER pendant un an à Nancy.

Depuis septembre 2024, je suis Maître de Conférences à Toulouse School of Management - TSM, au sein de l’équipe GRH & Comportement Organisationnel et Responsable Pédagogique du Master 1 MRH.
 

• Quelles sont vos thématiques de recherche principales ?

 
Depuis la réalisation de mes mémoires de Master, j’ai développé un grand intérêt pour la « carrière », comprise comme trajectoire de vie professionnelle traversée par des enjeux à la fois individuels et structurels. Peut-être en est-ce le reflet de ma propre construction personnelle ! Quoi qu’il en soit, ma thématique de recherche principale demeure la « carrière ».

Je l’aborde comme une perspective d’analyse particulièrement riche du point de vue des sciences de gestion, car elle permet de comprendre comment individus et organisations interagissent au travers de la relation d’emploi qui les lie, surtout dans un environnement en perpétuelle mutation.
La carrière relève à la fois des aspirations professionnelles et personnelles au niveau individuel, et des politiques de gestion des ressources humaines au niveau organisationnel, dans un contexte institutionnel et sociétal donné.

Elle est confrontée à de nombreux enjeux : genre, diversité, mobilité, formation, compétences, évaluation, équilibre vie privée-vie professionnelle… En d’autres termes, elle est autant le reflet que l’analyseur des interactions multi-niveaux qui se jouent au sein des organisations. De nombreuses questions de recherche restent encore à explorer. Après des décennies centrées sur la responsabilité et l’autonomie individuelle, la carrière revient sur le devant de la scène organisationnelle. Elle s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique, structurant et incontournable pour les organisations contemporaines, qu’elles soient privées ou publiques, en quête d’une performance renouvelée.
 


• Pourriez-vous partager un exemple concret ou un projet récent qui illustre vos travaux ?

 
J’ai exploré la carrière en tant qu’enjeu crucial de la GRH à travers ma recherche doctorale, sur un terrain quasi inexploré par les sciences de gestion : l’organisation judiciaire et ses quelque 9 000 magistrats de l’ordre judiciaire.
J’ai pu accéder à ce terrain emblématique dès 2019, en intégrant l’équipe d’une recherche contractuelle mandatée par l’Institut Robert Badinter et soutenue par le laboratoire CEREFIGE.
Cette étude, dont le rapport a été publié en mars 2022, interrogeait pour la première fois le modèle de GRH des magistrats.
 
 
Hôtel de Bourvallais, siège du ministère de la Justice à Paris* 
 

Ma thèse s’est alors concentrée sur la gestion de leurs carrières en tant que levier de transformation organisationnelle. Les carrières des magistrats constituent en effet à la fois une garantie de l’indépendance de la Justice et un levier RH de sa modernisation. Alors que les récentes réformes ambitionnent de doter l’organisation judiciaire d’une stratégie RH qui se veut exemplaire, mes travaux ont montré que l’implémentation des règles de gestion des carrières, dans l’interaction entre des magistrats indépendants et une organisation centralisée, tend en réalité à : cloisonner les deux pans d’un même corps judiciaire, le siège et le parquet ; reléguer la justice de proximité à la périphérie d’une justice d’élite ; différencier les sphères où hommes et femmes construisent leur carrière ; maintenir les juridictions régionales à distance des privilèges du microcosme parisien ; et positionner les magistrats issus d’une reconversion comme des outsiders face aux insiders originels.

Ces résultats représentent autant une mise à l’épreuve réaliste et critique de la politique modernisatrice de la Justice qu’un appel à repenser la gestion des carrières des magistrats, en tenant compte de son fonctionnement systémique ainsi que des effets qu’il produit, au-delà des intentions stratégiques affichées.
 

• Comment vos recherches dialoguent-elles avec d’autres disciplines ou approches, et que vous apportent ces échanges ?


Il convient de souligner que la recherche sur la carrière trouve ses racines dans plusieurs disciplines, notamment la psychologie et la sociologie. L’étude de la gestion des carrières au sein des organisations s’appuie quant à elle sur l’approche du marché interne en économie. La diversité de ces fondements confère au champ de la carrière une transversalité qui invite à la pluridisciplinarité. Mon apprentissage de la recherche s’est inscrit dès le départ dans une démarche interdisciplinaire, grâce à ma collaboration avec des collègues en sociologie et en droit, dans le cadre de la recherche contractuelle portant sur la GRH des magistrats. Cette coopération se poursuit aujourd’hui à travers une nouvelle étude consacrée, cette fois, aux personnels de greffe de l’organisation judiciaire.

Je suis convaincue que la gestion est une science qui gagne en profondeur par l’interdisciplinarité.


Investir un terrain complexe comme celui de la Justice, sans être soi-même juriste, a nécessité un long processus d’acculturation, rendu possible grâce aux échanges avec mes collègues en droit. Et pour analyser ce terrain, jusque-là éloigné de toute approche gestionnaire, je me suis également appuyée sur les apports de riches travaux sociologiques. À mon sens, c’est dans cette complémentarité que le dialogue entre disciplines permet de mieux saisir la complexité observée et de renforcer la pertinence de son analyse. Certes, cela peut donner lieu à des échanges « intenses », mais si chacun joue le jeu de l’ouverture et de l’enrichissement mutuel, ils deviennent particulièrement stimulants. Mon expérience professionnelle antérieure dans le Conseil, où j’articulais déjà différents corps de métier et approches pour concevoir des solutions adaptées, nourrit sans doute mon intérêt pour la collaboration et le travail interdisciplinaire en recherche. Je suis convaincue que la gestion est une science qui gagne en profondeur par l'interdisciplinarité.
 

• En quoi vos recherches contribuent-elles à répondre à des enjeux de société actuels ou à éclairer le monde socio-économique ?


C’est l’une des raisons qui m’ont conduite à m’engager dans une carrière académique. J’ai à cœur de m’investir dans des recherches à fort potentiel de contribution, et pas uniquement théorique. La carrière a longtemps été un concept assez élitiste, considérée comme l’apanage des cadres. Aujourd’hui, elle se démocratise : la comprendre comme la trajectoire de vie professionnelle montre qu’elle concerne tout un chacun. Et par la pluralité des enjeux socio-économiques qui la traversent, elle se situe au cœur des préoccupations de notre société. Les terrains de recherche que j’investis ont, par nature, une portée sociétale. À commencer, bien sûr, par la Justice, pilier de l’État de droit et de la démocratie. Le bon fonctionnement de la Justice, notamment en termes de GRH, constitue à mon sens une question essentielle.
 

 La carrière a longtemps été un concept assez élitiste, considérée comme l’apanage des cadres. Aujourd’hui, elle se démocratise. 


Depuis un peu plus d’un an, je participe également à une autre recherche collective, mandatée par l’ARS Grand-Est et soutenue par le laboratoire CEREFIGE, qui vise, entre autres axes, à identifier les leviers d’un bon fonctionnement RH des services d’Urgences dans l’hôpital public. Là encore, il s’agit d’un pan du service public confronté à une crise depuis plusieurs années, dans lequel la carrière du médecin urgentiste constitue une question critique. Si ces terrains relèvent du secteur public, mes travaux peuvent tout autant éclairer des problématiques comparables dans les organisations privées. Ce sont, en quelque sorte, des études de cas archétypiques qui me permettent de conceptualiser des modèles d’analyse plus largement transférables. Autant de contributions dont je travaille activement la valorisation ! 
 

• Qu'est ce qui vous motive le plus dans votre métier de chercheur et dans les perspectives de vos recherches ?

 
Ce qui me motive le plus dans mon « nouveau » métier de chercheure, c’est la possibilité de prendre du recul et de gagner en hauteur sur les phénomènes que j’étudie. Le temps long de la réflexion et de l’analyse, en contraste avec l’immédiateté du résultat qui guidait ma vie professionnelle antérieure, me permet d’examiner chaque question en profondeur et d’en saisir toutes les dimensions. Pour moi, être chercheure, c’est aussi se placer comme un éclaireur avant l’action : fournir des clés de compréhension susceptibles de guider les pratiques, avec rigueur, réalisme et distance critique.
 

 Pour moi, être chercheure, c’est aussi se placer comme un éclaireur avant l’action. 



C’est le privilège de la découverte et le droit de nourrir sa curiosité sans tarissement. Ce qui me motive également, ce sont les échanges et la collaboration, notamment à l’international, autour du langage universel de la recherche. Partager des idées, confronter des points de vue et coconstruire des connaissances avec des collègues de disciplines et de cultures différentes enrichit autant mes recherches que ma vision du monde et ma carrière académique.
* Chabe01, licence CC BY-SA 4.0 — voir détails