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"Comprendre le rôle du juge constitutionnel" : paroles de Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l'Ecole de Droit de Toulouse

Mathieu Carpentier

Chercheur à l'École de Droit de Toulouse et directeur de l’Institut Maurice Hauriou (IMH), Mathieu Carpentier consacre ses travaux aux grands enjeux contemporains de la théorie constitutionnelle et de la philosophie du droit.

• Pouvez-vous retracer en quelques mots votre parcours et ce qui vous a amené à UT Capitole ?

Mon parcours est un peu atypique. Après des études de philosophie puis de droit, j’ai soutenu en 2013 une thèse de philosophie du droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Je suis devenu en 2014 maître de conférences en droit public à l’Université Paris Panthéon-Assas. J’ai ensuite été reçu au concours d’agrégation de droit public, ce grâce à quoi je suis devenu professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole en 2016.
 

• Quelles sont vos thématiques de recherche principales ?

Mes recherches s’orientent principalement dans deux directions, même si j’écris également sur divers aspects touchant à l’actualité du droit public, notamment en droit constitutionnel français et en droit des finances publiques.

Mon premier objet de recherche est la théorie et la philosophie du droit contemporaines, dont j’essaie d’explorer plusieurs aspects saillants. Je travaille ainsi tant sur des questions de méthodologie de la philosophie du droit, que sur des objets concrets, par exemple la notion de validité juridique ou encore la logique du raisonnement juridique : comment les juristes construisent leurs arguments pour appliquer ou interpréter une règle, sujet qui a constitué le cœur de ma thèse de doctorat.

La seconde direction structurante de mes recherches porte sur une question centrale de la théorie constitutionnelle : l’office et la légitimité du juge constitutionnel, c’est-à-dire les organes chargés de contrôler la constitutionnalité des lois, comme le Conseil constitutionnel en France. Pour ce faire, je tente de proposer une approche interdisciplinaire, en combinant l’étude du droit comparé et les réflexions politiques sur la légitimité. À l’heure où, en France comme dans de nombreuses démocraties, le rôle du juge constitutionnel est contesté de part et d’autre du spectre politique, ma recherche tente de promouvoir une approche nuancée et contextuellement dépendante de cette question.
 
Salle des délibérés du Conseil Constitutionnel (Paris)
Salle des délibérés du Conseil Constitutionnel (Paris) - Cette salle était auparavant le salon de travail de la princesse Clotilde de Savoie, épouse du prince Jérôme Napoléon. - Photo : Faqscl / Licence : CC BY-SA 4.0
 Conseil Constitutionnel – Salle des délibérés.* 


• Pourriez-vous partager un exemple concret ou un projet récent qui illustre vos travaux ?

Mes travaux sur la justice constitutionnelle ont donné lieu à un projet financé par l’Institut universitaire de France entre 2022 et 2027 : celui-ci s’intitule « Modèles de justice constitutionnelle » et aboutira notamment à la publication d’un ouvrage, en cours de rédaction.
Ce projet veut défendre l’idée selon laquelle la question de la légitimité du juge constitutionnel est nécessairement dépendante du contexte institutionnel et politique dans lequel celui-ci s’insère. Pour ce faire je m’appuie sur l’étude comparée d’une vingtaine de systèmes de justice constitutionnelle, en envisageant plusieurs paramètres : les modalités de nomination des juges ; la nature du raisonnement suivi dans les décisions ; les relations avec les autres organes constitutionnels – non seulement le législateur, mais également l’exécutif – ; le dernier mot du juge constitutionnel ; la vitalité démocratique des institutions constitutionnelles…
 

• Comment vos recherches dialoguent-elles avec d’autres disciplines ou approches, et que vous apportent ces échanges ?

L’interdisciplinarité est un risque… mais c’est aussi une chance.

 
Mon pedigree de juriste théoricien et de philosophe du droit m’incline naturellement à l’interdisciplinarité. En ce qui concerne mes travaux de droit constitutionnel comparé et de théorie constitutionnelle, ils dialoguent nécessairement avec la philosophie juridique et politique : mon but est de faire dialoguer d’un côté les comparatistes, qui sont très attentifs à l’importance des variations contextuelles, et de l’autre les théoriciens et philosophes, dont la réflexion peut parfois reposer sur une trop grande abstraction.

Quant à mes travaux de théorie et de philosophie du droit, ils dialoguent en permanence avec la philosophie d’un côté (notamment la philosophie du langage et de la connaissance) et l’informatique et la logique de l’autre. J’ai la chance à Toulouse d’avoir plusieurs collègues, notamment à la Faculté d’informatique d’UT Capitole, ouverts à l’interdisciplinarité. Je mène ainsi en ce moment avec Jean-Guy Mailly et Sylvie Doutre un projet, financé par l’IRSI (International Research for Society Institute), sur le rôle des exceptions dans le raisonnement juridique. L'idée n'est pas de changer la manière dont on applique et interprète les lois, mais de modéliser ce raisonnement pour tenter de le reproduire via des outils d’aide à la décision, c’est-à-dire des outils conçus pour assister les juristes dans leurs analyses.

L’interdisciplinarité est un risque : on ne peut prétendre acquérir l’ensemble des connaissances et compétences propres à chaque champ disciplinaire que l’on souhaite embrasser. Mais c’est aussi une chance, dans la mesure où décloisonner les disciplines me semble être la seule manière de les extraire de la gangue de tradition – et parfois de paresse intellectuelle – dans laquelle les praticiens de la mono-disciplinarité les confinent.
 

• En quoi vos recherches contribuent-elles à répondre à des enjeux de société actuels ou à éclairer le monde socio-économique ?

Mes travaux nourrissent des propositions concrètes, par exemple sur le 49.3 ou sur les contraintes qui enserrent l'initiative législative des parlementaires.

Comme la plupart de mes collègues, je nourris l’espoir – certains diraient l’illusion – que mes écrits doctrinaux, en droit constitutionnel et en finances publiques notamment, influencent les juges et les autres décideurs publics. Ainsi, lorsque je propose par exemple de modifier les règles d’irrecevabilité financière des initiatives parlementaires ; de revaloriser le rôle de la loi de ratification en matière d’ordonnances de l’article 38 ; de supprimer l’utilisation partielle du « 49.3 » sur les parties successives du projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, qui vide de son sens la discussion parlementaire ; ou encore de modifier les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel, il y a là autant de propositions concrètes, dont j’espère qu’elles ne restent pas tout à fait lettre morte.
 
Pour le reste, les recherches que je mène tant en philosophie du droit qu’en théorie constitutionnelle et en droit comparé demeurent des recherches fondamentales, qui n’ont pas d’impact sociétal direct.

Mes travaux de théorie constitutionnelle et de droit comparé sont certes porteurs de propositions : j’aimerais ainsi contribuer à sortir des raisonnements binaires autour du juge constitutionnel, tantôt vénéré comme gardien de l’État de droit et des libertés, tantôt voué aux gémonies pour l’entrave qu’il met à l’expression de la volonté générale par les représentants du peuple.
Mais, j’ai bien conscience que la capacité des universitaires à être entendus dans le débat public est limitée, surtout lorsqu’ils souhaitent apporter de la nuance et de la complexité à l’analyse des phénomènes qu’ils étudient.
 

• Qu'est ce qui vous motive le plus dans votre métier de chercheur et dans les perspectives de vos recherches ?

L’éthique de la recherche est avant tout une éthique de la discussion.

Cela peut paraître paradoxal, lorsqu’on sait à quel point la recherche en droit est individuelle, mais c’est avant tout la dimension collective de la recherche qui me motive et passionne.
 
Bien entendu les projets collectifs sont essentiels à toute recherche interdisciplinaire : travailler avec des collègues dont les horizons intellectuels et scientifiques diffèrent parfois des vôtres est une chance incroyable, même si cela peut parfois être déroutant.

Mais au-delà même des projets collectifs, la dimension collective de la recherche individuelle est également essentielle : rien n’est plus stimulant pour moi que de présenter un travail en cours à un colloque ou à un workshop et de le soumettre à la critique (parfois mordante et sévère, souvent à juste titre !) de personnes que je respecte et j’admire. L’éthique de la recherche est avant tout une éthique de la discussion.
* Photo : Faqscl, licence CC BY-SA 4.0 — voir détails