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"Marion Fortin, la justice au travail comme fil rouge de ses recherches" : découvrez notre interview de la chercheuse de TSM

le 1 mars 2024

Professeure des universités en comportement organisationnel à TSM, Marion Fortin étudie les dynamiques de justice au travail, ainsi que les inégalités hommes-femmes dans les carrières. Interview.

• Pourquoi avoir choisi comme spécialité le comportement organisationnel ?

Après mes études de gestion à Trinity College Dublin, j’ai été recrutée par une banque d’investissement à Londres, JP Morgan. Cette banque était dans une période de fusion avec une autre banque et j’ai pu observer les comportements des individus et des groupes dans ce contexte chargé. Ce qui est ressorti de cette expérience, c’était l’importance des sentiments de justice. Cette thématique de la justice est devenue pour moi un fil rouge. Je suis alors revenue à Trinity College Dublin pour y réaliser un doctorat en comportement organisationnel. J’ai ensuite obtenu un poste de chercheuse invitée à la Stern School of Business de New York, puis un premier poste de maître de conférences à l’Université de Durham, au Royaume-Uni.
 

• Comment avez-vous connu TSM ?

C’est à travers un workshop dédié aux questions de la justice organisationnelle et organisé par le chercheur Patrice Roussel, que j’ai connu l’Université Toulouse Capitole et TSM. Cette première rencontre avec l’équipe du « Département Ressources humaines et Comportement organisationnel » a été décisive. Je l’ai finalement intégrée en 2010, quand un poste s’est libéré. TSM possède l’une des meilleures équipes françaises en comportement organisationnel. La recherche dans ce domaine est par essence interdisciplinaire car elle se trouve à l’intersection de plusieurs disciplines : le management, la sociologie et la psychologie. Mes recherches portent donc sur les attitudes, les motivations, les réactions des individus et des groupes au travail.
 

• Quel était l’objectif de votre projet « JuDy », financé par l’ANR (2018-2023) ?

L’objectif de JuDy était d’étudier les dynamiques de justice au travail, et en particulier de mettre en lumière de nouvelles perspectives concernant l’écart de carrière entre les hommes et les femmes. Ce projet s’appuie également sur l’idée que les différences de perception en matière de justice au travail varient en fonction des motivations de chacun, ce que nous appelons le raisonnement de justice motivé. Pour étayer cette théorie, trois études empiriques ont été menées.

La première s’est focalisée sur le retour des femmes au travail après leur congé maternité. Nous avons constaté que les situations vécues comme injustes pendant cette période de transition professionnelle pouvaient impacter, de manière directe ou indirecte et au fil du temps, les attitudes, les ambitions au travail et les décisions de carrière des participantes. Le discours populaire tend à penser que les femmes décident de ne plus s’impliquer à partir de ce moment clé. D’autres proposent que ce sont les entreprises qui les poussent dehors. Ces deux explications sont interreliées. Nos participantes ont effectivement subi de nombreux incidents d'injustice au cours de cette période. J’ai été frappée de voir qu’énormément d’événements vont même contre la loi française. Cette étude illustre la manière dont les victimes d'injustice peuvent parfois être amenées à justifier le traitement injuste, voire illégal, qu'elles ont subi. Nous observons un désengagement professionnel croissant au fil du temps en relation avec ces expériences. Pour y remédier, nous proposons des conseils concrets aux entreprises souhaitant mieux appréhender la gestion des départs en congé maternité.

La deuxième étude, menée auprès de parents télétravailleurs pendant la période du Covid-19, a permis de démontrer comment l’expérience quotidienne du télétravail peut accroître les écarts de carrière entre les hommes et les femmes. Nous avons constaté dans nos enquêtes que les femmes étaient plus fortement pénalisées par les interruptions récurrentes dues à la garde d'enfants. Ce qui ressort des entretiens, c’est que les attentes sous-jacentes en matière de rôle diffèrent encore entre les pères et les mères. Les femmes culpabilisent beaucoup plus.

Le troisième contexte sociétal, c’est la prise de décisions difficiles auxquelles sont souvent confrontés les managers au sein des entreprises, et qui entraînent des conséquences négatives pour au moins quelques employés (licenciements, reclassements…). Si la littérature en justice organisationnelle s’est souvent focalisée sur les employés qui subissent les injustices, nous avons au contraire fait le choix d’étudier le vécu de ces managers. On attend d’eux d’implémenter des logiques de rationalisation et en même temps de s’occuper du bien-être de leur équipe. Nous avons observé des dynamiques très différentes : certains managers n’ont pas réussi à réconcilier leur idée de justice et ont démissionné ; d’autres ont géré la situation en mobilisant un mécanisme qui est le désengagement moral.
 

• Pouvez-vous nous présenter le programme doctoral de TSM, dont vous étiez directrice ?

En effet, j’ai été directrice de ce programme doctoral de 2020 à 2023. Il s’agit d’un programme très internationalisé, avec une spécificité : tous les doctorants doivent avoir un financement pour pouvoir se consacrer suffisamment à leur recherche. Nous choisissons les meilleurs candidats, peu importe leur nationalité. L’année dernière, on comptait 32 nationalités différentes sur un public d’environ 80 doctorants. Tous les cours sont en anglais et ils sont encouragés à faire un semestre de visite pendant leur doctorat ainsi qu’à participer à des conférences internationales. Les efforts mis en place pour obtenir des accréditations, EFMD puis EQUIS, nous ont beaucoup aidés à améliorer ce programme. De nombreux aspects ont été revus pour répondre aux critères demandés : la sélection qui doit être absolument transparente, le soutien financier des candidats, la communication avec les doctorants, le design des cours, l’évaluation adaptée… Au final, les résultats en termes d’insertion professionnelle sont très bons : on constate que nos doctorants trouvent facilement un emploi dans le milieu académique.
 

• Pouvez-vous nous parler de vos missions en tant que vice-présidente ENGAGE.EU ?

ENGAGE.EU est une alliance européenne d’universités qui permet de multiples collaborations. C’est un véritable réseau de partenaires stables, avec lesquels nous avons développé des infrastructures et des programmes d’enseignement partagés. Je suis impliquée dans ce projet depuis sa création en 2020. J’ai notamment œuvré au développement de son axe Recherche, en organisant des Think Tanks et des événements permettant la mise en réseau des doctorants. Depuis juin 2023, je suis vice-présidente ENGAGE.EU. C’est un rôle passionnant et je sais que je peux compter sur une équipe soudée et motivée. Dans les prochaines années, nous souhaitons impliquer davantage le public des jeunes chercheurs et doctorants, qui est particulièrement demandeur en termes d’interdisciplinarité et d’internationalisation. L’alliance permet en effet de nombreux échanges entre les chercheurs des différentes universités partenaires. Elle est un accélérateur de projets sur des thématiques sociétales. Cette année, nous miserons sur une communication ciblée afin de proposer aux étudiants, aux personnels administratifs et aux enseignants-chercheurs des programmes et projets adaptés à leurs attentes.
Mis à jour le 29 mars 2024